NAÎTRE - RENAÎTRE - AIMER
NAÎTRE - RENAÎTRE - AIMER
Lorsque nous découvrons un paysage que nous trouvons joli, sans plus, charmant au demeurant, que l’on s’y sent bien pour une escale, pour un instant volé à l’infini de nos sempiternelles préoccupations parasites, souvent nous aspirons à y revenir pour le mieux ressentir, et nous y revenons parfois ; pourtant, si le hasard nous en éloigne, ou si nos obligations nous privent de ce havre de paix, nous chassons alors sans trop de frustrations ce lieu de notre mémoire. D’ailleurs où se situait-il ? Comment l’appelle-t-on ? Nous l’ignorons. Seul son charme particulier avait su émouvoir l’instant qui nous y attirait ; or, il existe ainsi, et à foison, d’autres lieux tout aussi communs que singuliers en leurs beautés plurielles qui nous attendent encore : ce jardin de ville aux voûtes ombragées à deux pas des boutiques grouillantes et agitées, ce parc aux géants centenaires avec ses vasques aux poissons multicolores, lascifs dans l’onde calme, cette route en forêt, sublime… Mais où l’avais-je donc croisée ? De ces lieux-là ne se gravent pas en nos mémoires de souvenirs précis, à quoi bon puisqu’ils sont si nombreux qui nous attendent ailleurs, ici ou là, pour nous offrir leurs bras. Il nous suffit d’être en quête et ils surgissent simplement sachant nous accueillir à une heure propice, la leur, un jour complice, le nôtre, ou toute autre aimable circonstance, qu’importe.
Les êtres comme les choses marquent ainsi leurs empreintes en notre humain terreau, tel cet inconnu rencontré quelque part à qui nous avons dévoilé un peu de notre vie, sans crainte, dans l’harmonie d’un évident partage, qui s’effaça pourtant si promptement, et avec grâce, de notre intime univers à lui seul dévoilé. Où cela s’est-il passé ? Quand ? Mais mon souvenir demeure flou, désespérément flou, dilué dans l’espace et le temps. C’était un bon moment, une belle rencontre, lueur furtive d’une soudaine confidence qui à l’instant confiée s’est éteinte aussitôt, elle m’avait soigné l’intime et libéré de mes discordes. Mais qui était-il donc cet homme providentiel ? Un ange peut-être, et bien à l’heure, en mission de bonheur rédempteur à raviver sur mon chemin chagrin. Car il en est ainsi parfois, tels éphémères messagers surgis d’un au-delà que l’on ne sait appréhender, et en cela ils ressemblent aux mirages, aux miracles aussi, ils nous choient pour se dissoudre aussitôt dans l’oubli, la magie de l’instant s’estompant elle aussi irrémédiablement dans le vague du temps qui passe et nous enlace à l’envie de la nasse de nos soucis, de nos folies, de nos devoirs qu’ils surent chasser sans s’incruster, glissant l’espoir en nos pensées.
Or, cela est rare, et si précieux, il en est certains autres qui s’imposent vraiment, différents, évidents, lumineux et solides repères en nos consciences éblouies. Ils nous saisissent et nous pénètrent avec une telle intensité spontanée que dès les primes secondes d’un regard échangé, si simplement fervent, nous comprenons l’inclination d’une espérance en leurs traits triomphants, souverains, authentiques, telluriques d’incontournables essences ; d’autres encore, ne se dévoilent insidieusement à notre étonnement troublé que bien plus tard, à la faveur d’une circonstance propice à réflexion profonde, ou à recueillement qui semble passager mais ne l’est pas vraiment, telle cette immanente reconnaissance d’un soutien inattendu, ou pour toute autre cause inexplicable et mystérieuse dont le ciel nous aurait fait grâce hors de notre perception première alors quelque peu ludique, versatile ou désinvolte.
Pour l’un, nous savons aux tout premiers partages, et des yeux et du cœur, que jamais plus il ne quittera ce jardin fragile et solitaire qu’est notre âme. À l’autre nous pensons allègrement comme à des décors sans véritable importance, sans racines profondes, telle une aubaine qu’il faut déguster vite, avant qu’elle ne s’échappe ou que nous ne partions ailleurs, la délaissant très naturellement comme nous l’avions rencontrée, un hasard de la vie en somme, une friandise à apprécier de suite mais qui aura semé en nous sa graine de lieu ou d’être, graine sacrée quelque part. Ainsi, plus tard, un jour, qui nous paraît banal encore, nous nous sentons soudainement si éloignés de lui, il nous hèle et frappe de nouveau à notre porte avec l’insistance d’un appel au secours, et c’est comme une blessure qui s’ouvre, et saigne en nous, un peu désemparée et déstabilisée devant ce qui nous apparaît alors comme une évidence que nous aurions jusque-là négligée, ignorée. Ce lieu, cet Être le plus souvent, nous avait ainsi liés à sa vie malgré nous en apparente insignifiance compagne de notre cécité originelle, à notre insu en somme, et dès lors nous attachons la nôtre à la sienne. De ces lieux-là, de ces Êtres-là, de ces objets-là parfois, nous sommes tributaires, prisonniers, habités, mais en une prison d’âme qui nourrit, qui épanouit notre intime résonance ; elle repousse nos horizons toujours plus loin, toujours plus denses en leurs nuances feux.
Il nous faut alors leur savoir bien parler pour communier avec eux, pour communiquer sur les ondes du cœur, et nous les baptisons de notre propre envie lorsque leurs noms nous demeurent inconnus ou résonnent trop impersonnellement à notre ouïe soudain plus exigeante, ainsi nous décorons celui qu’ils portent à notre guise avec cette vérité d’une harmonie issue de nos secrets effluves, de nos ressentis abyssaux. Alors sourient-ils à notre oreille satisfaite, s’inscrivent-ils en lettres singulières sous notre regard changé. Ils ne s’effaceront plus, gravés en signes d’or en notre chair par tous nos sens invoqués, en notre cœur qui les espère. Communs pour tant d’autres, ils rayonnent pour nous sous bien d’autres éclats, d’une tout autre lumière. Sur ces noms-là, et sur eux seuls, s’identifient nos émotions ou nos émois, nos sentiments divers, profonds, ancrés en l’océan de notre aura, qu’ils soient d’amour, d’amitié ou de haine.
Lorsqu’un nom se révèle de cette façon-là, c’est tout un univers qui s’éveille, qui respire, qui exulte. Car sans nom, tout se disperse, se dissout dans l’indifférence de l’azur, richesse en déshérence, en abandon. Mais une fois nommer, impétrant baptisé, accueilli et signé, pour nous tout devient différent en une altération génitrice de l’être qui s’affine, le nôtre par le sien, qui se concentre et nous abreuve de l’élixir d’une essentielle communion en sa plénitude absolue, de cette précieuse quintessence de la vie extirpée d’un dérisoire néant. Ainsi se forgent et l’amour et l’amitié, et le respect seul parfois, comme, cela se peut aussi, le plus cruel et abject des sentiments de rancœur ou de vengeance.
Ce lieu ou cet être né ainsi d’une telle rencontre singulière, lui et moi, en une immatérielle communion nous transmue. C’est une naissance, qu’elle soit issue du bien ou du mal (qui peut-être juge ?) elle est toujours un miracle d’humanité et de terrestre essence. C’est le suprême don que la vie nous accorde. Un nom offert, dédié, accepté, vécu et ressenti unique, c’est plus qu’une naissance encore, bien plus que cela, c’est la reconnaissance de l’être entier en son infinie différence, par un autre qui le fête, qui l’estime, qui l’aime, qui… Après, la vie peut exploser ou s’éteindre, il est inscrit quelque part, il existe vraiment pour quelqu’un en son éternité.
Et nous avons besoin de naître ou de renaître ainsi, Petit Être en chemin vers celui d’un autre, vers un autre destin. Lorsque l’on aime ainsi, ou que l’on a aimé, un être plus qu’un lieu, un lieu aussi parfois, voire quelque chose qui paraît anodin, un mystère, une foi, nous ne sommes plus jamais seuls, nous savons exister sans nous excommunier de cette propre église qu’est notre être premier qui chemine ainsi, enfin réconcilié avec sa clarté ; Pourquoi nous en priver ?
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