SOMMES-NOUS TOUS DES LIVRES INACHEVES ?
SOMMES-NOUS TOUS DES LIVRES INACHEVÉS !
Puis, ce fut mon tour, mon jour, celui dont je ne me souviens pas. Je m’ignorais encore d’un monde qui déjà m’appelait à lutter pour découvrir mon Graal. N’étais-je alors que seule amorce de vie en avenir ou vie déjà bien pleine d’un mystérieux passé que j’avais oublié ? Mais non, je ne m’en souviens pas, on me l’a raconté après bien des années aux funestes censures qui craignaient la lumière de notre « Vérité ». Prénatal mystère qu’il convenait alors de cacher aux enfants tout englués des chairs de leurs enfantements. Car en ces temps maudits toute chair était sale, il fallait la cacher, la contraindre au déni de sa réalité, l’étouffer amplement afin qu’elle ne rayonne en libre firmament. Elle était ce putride creuset des péchés les plus vils, du plaisir, de la vie même qui ne soit pas martyr ; sa sexualité, elle se devait bannir. Tristes temps, tristes mœurs ! J’en ai souffert longtemps. On m’a dit, autrefois, que des roses ou des choux s’éveillaient les enfants, qu’ils avaient rendez-vous, et dès avant de naître, avec la pureté, qu’ils se devaient d’être anges toujours très sages et ne pas écouter les appels puissants de leurs chairs enflammées qu’il leurs fallait bannir de leurs entendements, s’obligeant à souffrir au seuil de leurs tourments pour ne pas aller cuire, en enfer, chez Satan. Le mal, alors, dès mon tout premier cri pris possession de moi, j’étais déjà maudit, sali, j’avais déjà ce tort de vouloir boire ma vie à grands traits de beautés, ignorant les remords, en ce monde cloîtré, perclus de cruauté mais se croyant béni. C’était dans les années cinquante, deux guerres et d’autres encore étaient passées, horribles et rapprochées, mais les mentalités demeuraient toujours telles. Hypocrite morale, encensée, mais toujours détournée, et par tous les acteurs de cette société qui ne vivait devant, qu’apparence trompeuse, quand derrière elle vibrait de bien viles outrances qu’il fallait camoufler. Alors, de ce premier berceau où je naquis naguère, jusqu’à l’âge avancé qui baigne là mes os et où j’écris ces lignes, j’aurais toujours souffert de n’être que ce sot imparfait et coupable, coupable d’avoir pensé, aimé, et jouis de mon être gourmand autrement qu’en ce saint priant dans sa courette, ses deux genoux à terre, flagellant ses pulsions avec application pour ses outrages à la raison. Le péché m’a détruit en sortant de ma mère, alors que dans ce nid, en son ventre si cher, j’étais quelqu’un de bien, encore, pour un instant, pour un instant seulement, car déjà, à peine voyant le jour, il me fallait payer mes plaisirs prénuptiaux, quand j’étais chair en chair et si bien protégé, baignant avec délice à l’abri des austères, pas encore accouché.
Après, il fallut bien m’y faire, j’ai appris que la vie en son troublant mystère confiait aux hommes leurs destins, et à chacun le sien, libre à eux de l’orienter au mieux, à leur guise si cela se pouvait, s’ils en étaient capables, ou de suivre, déjà et pour toujours vaincus par ces courants mal formateurs autant que castrateurs, et fondateurs de malgré nous, sans chercher à comprendre le pourquoi du comment, l’esprit même du monde qui les avaient invités là, chacun à naître en son endroit, ici et maintenant sur les ondes du temps qui passe, s’imprégnant lentement, inexorablement d’une culture nécrophage condamnant les élans de leurs ondes premières et souvent si peu sages, qu’ils avaient en naissant. Un seul moule pour tous, clamait-elle furieuse et sur un ton méchant ; et gare à ceux récalcitrants, il leur faudrait rendre les armes en combattant, ou bien périr servilement.
Ainsi me voici, moi, si tout petit bonhomme tremblant de froid à la sortie de ma matrice, pris en otage d’une vie rabougrie trop tissée d’interdits, de morales iniques, flanquées de grands principes tous abêtissants. Et je grandis ainsi, sans bien m’en rendre compte, dans l’ombre noire de ses couloirs, cherchant ma voie et trébuchant sur ses sols bien méchants. Enfin me voilà grand, sinistre en mes habits mal taillés pour moi. Qu’allais-je faire ? Pourquoi ? Pour qui ? Comment ? En aurais-je le droit ? Oserais-je vraiment ? Que de question en moi, sans jamais de réponse qui m’aurait rassuré ou guidé sur ma voie. C’est ainsi disait-on, déjà, à ce petit garçon qui découvrait son monde, tu devras obéir, travailler, t’oublier, te salir et servir, alors accroche-toi si tu ne veux périr. À cette époque-là il en était ainsi, nul ne pouvait, sauf les grands esprits, se soustraire à la chose qui formatait les roses et les choux pour les rangers dans ses rayons organisés, conformes aux usages, tout prêts à être utilisés, serviles, par les élites supérieures, gouvernantes et sans cœur. Mais plus encore nous fallait-il, à nous qui n’osions pas lever les yeux vers ces si grands ordonnateurs, suivre leurs lois et leurs valeurs, et accepter d’être jugés pour un oui de travers, un non un peu obscur, un désir exprimé qui serait de luxure, une envie naturelle qu’il fallait condamner, une pulsion, oh mon Dieu, qui ne se devait pas. Bien sombres et tristes sires que tout cela pour nos tout premiers pas en nos primes inspires. Puis ma vie m’appela dans les sillons tracés au cordeau des usages, sous la férule de censeurs encensés, de moralisateurs de la pensée bourreaux de nos actes insensés et exterminateurs de nos velléités qui se croyaient rebelles, mais toujours enchaînées en noire citadelle si hautement gardée pour bien nous formater.
Un jour pourtant, j’ai osé me lever, affrontant de mon regard ardent celui de mes geôliers, puis m’avançant vers eux, presque à les bousculer, je m’évadais enfin, libre sur mon chemin, et ils ne dirent rien, ne firent pas un geste, ni pour me retenir, ni pour me ceinturer, se contentant de me bannir de leur pure société en relents de rancœurs. Je n’étais plus recommandable, j’avais fauté, bravant ainsi tous leurs vocables. Depuis je suis nomade, c’est ainsi, sur la vie, sur ma vie sans frontières nourrie de liberté ; je suis cet homme de combat, droit et fier sans aller au delà, qui aime à respirer des ailleurs ce bon air qui sait l’émanciper pour vivre sans repères trop vils ou étriqués ; je suis ce livre ouvert qui chaque jour s’étoffe et je mords dans la vie de ma vie passionnée, goûtant tout ce qu’elle peut m’offrir, chagrins félicités, acceptant de jouir autant que de souffrir, sans craindre réprimandes et ires de ces gardiens du temple assis sur leur mépris, pharisiens hypocrites qui lentement s’étiolent en bridant leurs envies et déversant leurs fioles d’acerbes litanies qui offensent la ronde des beautés de la vie, de l’espérance et du respect des fantaisies, ces dentelles jolies de nos cœurs qui dansent sur le bonheur de nos consciences et de l’amour qui nous dit « Oui », sans mesure ni parti pris en ce grand livre qui nous chérit, qu’est « Notre Vie ».
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