Amour, ô dieu méchant...
BLANCHE SAHUQUÉ
Amour, ô dieu méchant...
Amour! ô dieu méchant, qui blesse la jeunesse
Et dérange ses jeux,
Quand ce serait si doux de rire avec ivresse,
Lorsque le ciel est bleu!
Quand ce serait si beau d'avoir vingt ans, de croire
Que l'unique bonheur
Est de presser l'été, ses roses et sa gloire
Contre son tendre coeur;
D'emplir éperdument son âme et sa poitrine
De tous les chants vermeils
Et de nouer se bras aux branches d'aubépine
Quand flambe le soleil.
D'épanouir son être, ô volupté profonde,
Comme un rosier humain,
Et de mêler sa bouche à la splendeur du monde;
En un hymen divin!...
Mais tu es là, Amour, et tu guettes ta proie
De ton mauvais regard,
Qui mêle étroitement la tristesse et la joie.
Pour acérer ton dard,
Il te faut la beauté, le rire frais des femmes,
Leurs pleurs à tes genoux,
Et le sang de leur coeur, leur douleur qui se pame,
Pour ton plaisir jaloux.
Et de tes doigts cruels, tu détruis les beaux rêves
Des vjngt ans enchantés,
En soufflant sur les coeurs, les rayons et les sèves
L'amère volupté.
Pages posthumes, 1913
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